Le cercle vicieux où l’appât de la thune fait perdre des plumes
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ARNAQUE Un prétendu projet d’entraide financière fait fureur dans le canton. Reportage.
ABDOULAYE PENDA NDIAYE
Publié le 09 février 2007
VALEYRES-SOUS-RANCES: La salle où a eu lieu une des réunions d’un prétendu «système d’entraide», pendant moderne du jeu de l’avion, a fait l’objet d’une descente de police mercredi soir. / OLIVIER ALLENSPACH |
Mercredi soir, seize inspecteurs et gendarmes de la police cantonale vaudoise sont intervenus, sur demande du Juge d'instruction, à la salle communale de Valeyres-sous-Rances. Une réunion y regroupait une centaine de personnes.
Au même moment, à Pomy, autre village du Nord-vaudois, se tenait une réunion du même type. «Il vous faut être d'une extrême discrétion. Même si ce que nous faisons est légal, n'en parlez qu'à des connaissances dignes de confiance», lance Pablo* à l'assistance, composée d'une cinquantaine de personnes, hommes et femmes dont la moyenne d'âge avoisine la quarantaine. Le bouche-à-oreilles fonctionne bien. La semaine précédente, ils étaient près de cent dans un tea-room d'Yverdon. Tous veulent gagner de l'argent. Facilement et sans risquer gros.
«Le projet d'entraide financière, poursuit Pablo, est un concept dans lequel quinze positions sont acquises finan- cièrement. Une personne entrant dans une place définie progresse au sein du concept pour atteindre le centre et en ressortir après réception du don.»
Gains exponentiels
Pour mieux convaincre ceux qui douteraient encore de cette «belle opportunité», l'orateur insiste sur les retombées financières. «Avec une mise de 3000 francs, vous gagnez 15 000 francs», ajoute-t-il, avant de faire miroiter un gain de 120 000 francs à ceux qui se sentiraient bien inspirés d'augmenter leur mise jusqu'à 15 000 francs.
Un monsieur, qui avoue avoir déjà été grugé dans le jeu de l'avion, plombe un peu l'ambiance en faisant part de ses craintes. Un rictus d'agacement s'empare alors du visage jusqu'ici serein de l'orateur.
«L'expert juridique» viendra à sa rescousse. Look à la Antonio Banderas, verbe facile, il abreuve la salle de termes juridiques. «Ce n'est pas le système boule-de-neige ni le jeu de l'avion ou la pyramide. L'arrêté du Tribunal fédéral du 31 mars 2006, clame-t-il sans ciller, autorise le parrainage et la participation à ce concept d'entraide financière.»
Une interprétation, évidemment, fallacieuse. Une fois le seuil de saturation atteint, les «vrais-faux futurs gagnants» viennent grossir les rangs des personnes grugées. ( lire ci-dessous ). Et si ce prétendu système d'aide profite tout de même à quelques-uns, entrés les premiers dans la combine, leurs gains restent parfaitement illégaux.
«M…, je me suis fait avoir. J'ai dû emprunter 3000 francs pour miser», s'étranglait hier une Avenchoise, après avoir réalisé son erreur. Une autre dame, qui rêvait de s'installer dans un pays chaud, n'avait plus que ses yeux pour pleurer. Ô mirage de soleil!
* Prénom d'emprunt
«Les conséquences sociales sont catastrophiques»
A. P. N.
Deux néophytes démarchés par un parrain (ou marraine), entrent dans le cercle après avoir apporté leur don en espèces lors d'une réunion privée. Chacun d'entre eux devra trouver à son tour deux autres néophytes. Ce système fonctionne selon le principe dit de la boule-de-neige. Son ampleur n'est pas encore connue des services de la police cantonale. Mais, des éléments attestent qu'outre Vaud, Fribourg aussi est touché. «Ça se répand comme une traînée de poudre», déplore l'adjoint du juge d'instruction cantonal, Jean Treccani. Qui s'inquiète des «répercussions sociales catastrophiques». S'il n'est pas interdit dans certains pays voisins, comme l'Allemagne, ce système, qui rappelle le jeu de l'avion, l'est en Suisse. «La justice peut obliger ceux qui ont gagné à rembourser ceux qui ont perdu. Dès qu'on recrute quelqu'un, on est punissable et on risque jusqu'à 10 000 francs d'amende», précise le juge. Exemple illustratif de la dangerosité de ce système, il explique que, dans un cercle comprenant 17 cycles, pour 65 000 gagnants, il y a 520 000 qui ont misé et qui espèrent toucher de l'argent. «En Suisse alémanique, il y a plusieurs villages où les habitants ne se parlent plus à cause de ce jeu», signale Jean-Christophe Sauterel, porte-parole de la police cantonale.
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