«La Suisse doit se préparer rapidement au bioéthanol»
Quel avenir les biocarburants pourraient-ils avoir en Suisse? Interview.
Etienne Dubuis
Mercredi 14 mars 2007
Christian Hardtke, professeur associé au Département de biologie moléculaire végétale à l'Université de Lausanne, conseille à la Confédération de se préparer à l'arrivée du bioéthanol de deuxième génération.
Le Temps: Est-ce une bonne idée de produire des biocarburants en Suisse?
Christian Hardtke: Oui, ça l'est. Encore faut-il savoir ce que nous entendons par biocarburant. Le biodiesel, qui est normalement produit chez nous à base de colza, a un bilan énergétique nettement positif: il fournit deux ou trois fois plus d'énergie qu'il n'en exige pour être fabriqué. Il souffre cependant d'un handicap important: une très faible productivité. Un champ de colza dispense rarement plus de 1500 litres par hectare et par année, ce qui signifie que l'ensemble de la surface agricole de la Suisse ne pourrait assurer au pays que dix jours de ses besoins. Le biodiesel ne convient donc qu'à une petite échelle, chez un paysan qui voudrait produire de quoi faire tourner ses machines, par exemple. Le bioéthanol, fabriqué à partir d'amidon ou de sucre, possède un bien meilleur rendement. Un champ de betterave (la plante locale la plus performante) procure ainsi 6000 litres par hectare et par année, avec des pointes à 8000. Son bilan énergétique, objet de vives controverses, est toutefois moins concluant: il ne serait que légèrement positif.
- Il ne sert donc à rien?
- Si. Il serait très utile de le produire à une échelle raisonnable pour nous préparer à l'arrivée du bioéthanol de deuxième génération. Car l'histoire n'est pas finie. Un bioéthanol beaucoup plus performant nous attend. Produit à base de matière lignocellulosique (un nom compliqué qui désigne les tissus de soutien des végétaux, les tiges, les feuilles, etc.), il cumulera un bilan énergétique positif et une excellente productivité. Il est susceptible de fournir jusqu'à 15 fois plus d'énergie qu'il n'en consomme. Et une plante comme le miscanthus giganteum, qui fournit aujourd'hui à peu près 14000 litres par hectare et par an, pourrait en dégager 35000 une fois le processus de production optimisé, soit quatre ou cinq fois plus que la betterave. Il ne s'agit pas là d'un scénario de science-fiction. Ce nouveau produit est déjà fabriqué aux Etats-Unis et au Canada, où il fait l'objet de dernières mises au point, et devrait débarquer ici dans cinq à dix ans. Lorsque ce moment viendra, mieux vaudra ne pas perdre de temps. Ce qui suppose que nous ayons alors des installations techniques en état de fonctionner, un minimum de savoir-faire et un marché disposé à l'accueillir.
- Le bioéthanol de deuxième génération sera-t-il plus cher que l'essence?
- Pas forcément. Il devrait être compétitif à long terme. Pour être plus précis, on s'attend à ce que le bioéthanol produit de manière optimisée à partir de matière lignocellulosique soutienne la comparaison avec l'essence tant que le baril de brut ne descendra pas en dessous de 35 dollars. Ce qui est l'hypothèse la plus probable.
- La production de bioéthanol se ferait-elle forcément au détriment des cultures vivrières?
- Ce serait le cas si l'on devait continuer à utiliser comme matière première une plante traditionnelle comme la betterave. Mais les plantes énergétiques de deuxième génération sont capables de pousser sur des sols marginaux, délaissés parce que trop pauvres par les cultures traditionnelles. Elles peuvent en outre, avec leur récolte tardive, prospérer dans des cultures mixtes. Enfin, de vastes surfaces agricoles, aujourd'hui laissées en jachère par crainte de la surproduction, n'attendent que ce genre d'occasions pour être exploitées.
- Quelle importance les biocarburants peuvent-ils avoir en Suisse?
- La Suisse ne pourra sans doute jamais produire tout le biocarburant dont elle a besoin, faute d'un territoire suffisamment vaste. Mais elle peut en fabriquer une part non négligeable. Surtout, elle a un rôle important à jouer dans le domaine de la recherche. Peu de pays disposent d'une telle concentration de compétences et il serait vraiment dommage qu'elle manque l'occasion qui lui est donnée de se profiler à la pointe d'un domaine d'avenir.
- La Suisse devra donc continuer à importer son carburant?
- Oui. Mais pas de très loin. L'Europe abrite suffisamment de surfaces cultivables, de l'Espagne à la Scandinavie en passant par l'Ukraine, pour produire la majeure partie du bioéthanol dont elle aura besoin. Et pour exporter chez nous des surplus.
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