dimanche 4 mai 2008

Coop et Migros en Bourse: réaliste?

COMMERCE DE DÉTAIL

Coop et Migros en Bourse: réaliste?

En proposant que Coop et Migros adoptent la forme de SA et entrent en Bourse, le président de la ComCo a déclenché une levée de boucliers. De la part des principaux intéressés bien sûr, mais aussi de la gauche comme de la droite. Toutefois, la FRC note que les coopératives pratiquent de fait une politique de SA, et que l'esprit de départ est dévoyé


Ivan Radja - le 03 mai 2008, 22h26
Le Matin Dimanche



Convertir Coop et Migros en sociétés anonymes? Cotées en Bourse? Formuler ne serait-ce que l'hypothèse est aussi iconoclaste, révèle notre enquête, que prôner l'armée de métier ou l'abandon du Cenovis.

En lançant l'idée dans le magazine Bilan, le président de la ComCo Walter Stoffel, qui précise bien ne parler qu'en son nom personnel, fait l'unanimité contre lui.

Ses arguments, sur le papier, sont-ils si farfelus? Une SA, explique-t-il, permettrait un meilleur contrôle sur les fonds investis, les actionnaires étant plus vigilants sur ce point que de simples coopérateurs; l'entrée en Bourse favoriserait également l'apport en capitaux; la réactivité des distributeurs s'en trouverait accrue face à la concurrence annoncée des Allemands Aldi et Lidl, et l'extension ou les partenariats à l'étranger facilités.

Coopératives trop grandes
«Une coopérative d'alpage, souligne-t-il, fonctionne parce que ses membres se connaissent, ce qui n'est le cas ni chez Migros ni chez Coop.» «Ces entreprises, ajoute-t-il, se sont éloignées de l'idée de la coopérative à un point tel que cette idée est devenue méconnaissable (...) Leurs coopérateurs ne sont plus en mesure d'exercer une quelconque influence.»

Et le client dans tout ça? Walter Stoffel assure que «tout le monde en profiterait». Consultant indépendant, spécialiste du commerce de détail, Bernard Loeb, estime que «cela ne changerait rien pour le consommateur, ou si ce devait être le cas, cela se traduirait par une hausse des prix. Au reste, c'est la concurrence qui fait baisser les prix. Voyez la France, dont la plupart des distributeurs sont des SA, leurs prix sont de 5 à 10% plus élevés qu'en Allemagne; et que dire de la perte de profit de Carrefour, qui l'a contraint à se retirer du marché suisse?»

La forme actuelle de la coopérative a la cote à droite: «Les producteurs ont de la chance d'avoir Coop et Migros comme partenaires», remarque Jean-René Germanier, conseiller national radical valaisan et membre du CA de Migros. A gauche aussi: «Dans la réalité, les actionnaires d'une SA ne pèsent pas sur les décisions de l'entreprise, mais en revanche ils ont des exigences», observe Yvette Jaggi, ancienne syndique socialiste de Lausanne (lire ci- contre). Seul à appuyer la thèse de Walter Stoffel, le juriste bâlois Bernhard Madörin (lire ci-contre) avait tenté de faire passer l'idée d'une conversion au sein de la Migros en 1998, par voie d'initiative interne. Projet balayé par les coopérateurs. Selon lui, «la SA permettrait d'acheter d'autres entreprises, et de constituer ainsi une sorte de holding».

Actionnaires obnubilés par les dividendes
C'est précisément sur l'utilisation des marges bénéficiaires que les tenants de la coopérative sont le plus inflexibles. «Actuellement, les moyens sont réinjectés dans les infrastructures et les investissements pour faire baisser le prix au client, rappelle Jean-René Germanier; qu'adviendrait-il s'il fallait reverser des dividendes à des actionnaires?»

Argument bien évidemment brandi par les deux principaux intéressés. Hansueli Loosli, directeur de Coop: «Nous ne sommes pas une entreprise qui travaille pour des actionnaires et leurs dividendes, et la plupart des grandes sociétés cotées en Bourse ne réfléchissent pas en fonction du bien-être des (petits) actionnaires. Enfin, où est le contrôle? Chez Coop, nous sommes organisés démocratiquement avec des Conseils régionaux et des assemblées de délégués. Quant à l'entrée en Bourse, elle peut profiter aux actionnaires, mais les actionnaires ne sont pas «tout le monde».

Claude Hauser, président du CA de Migros, considère que «la ComCo n'a pas à s'immiscer dans la forme juridique d'une société». «Contrairement aux actionnaires, les 2 millions de coopérateurs que compte Migros, qui sont nos propriétaires, viennent chaque jour dans les magasins pour juger notre prestation, et non le volume des dividendes.»

Déjà international
Les prétendues facilités d'extension à l'étranger ou de prises de participation les laissent sceptiques. «La Coop a créé sur le plan international l'Alliance Coopernic, et avec nos partenaires nous avons pris la majorité du commerce de détail balte IKI», constate Hansueli Loosli. Quant à Claude Hauser, il doute que «la présence d'un magasin à l'Est ou en Chine soit ce qu'attendent les clients; de plus, la loi dans ce domaine veut que si l'on n'est pas dans les 3 ou 4 premiers, on se retire, comme vient de le faire Carrefour ici. Il faut arrêter de rêver, comment Migros régaterait-elle à ce niveau?»

Baisser davantage les prix
En ce qui concerne l'attente présumée des clients, la présidente de la Fédération romande des consommateurs (FRC) Monika Dusong est claire: «Le consommateur a droit à une alimentation de qualité et à ce titre, tant Migros que Coop ont une responsabilité de santé publique, via les produits bio ou la production intégrée; il veut aussi les meilleurs prix, et là il y a encore de la marge, c'est pourquoi la FRC est favorable aux importations parallèles pour les produits brevetés, ainsi qu'à l'ouverture des négociations sur les accords de libre-échange agricole et la baisse drastique des taxes douanières.» Sur le fond, Monika Dusong apporte un léger bémol: «La preuve que les marges sont encore très confortables, c'est que c'est avec elles, donc l'argent déboursé par les clients, que Coop et Migros font leurs emplettes en rachetant Carrefour et Denner. Une politique de Société anonyme qui montre bien que l'esprit de coopérative est dévoyé.»

«Faire de Migros et Coop des SA est une nécessité»

Bernhard Madörin, alors représentant des coopérateurs, vous avez mené campagne en 1998 pour la conversion de Migros en SA. Votre position dix ans plus tard?
Transformer ces coopératives en sociétés anonymes est plus que jamais une nécessité. Aldi, Lidl arrivent. Avec une nouvelle forme juridique, ces entreprises seraient plus libres de racheter d'autres entreprises, et de former une sorte de holding. Je précise que je ne suis plus coopérateur Migros. C'est un simple client qui vous parle aujourd'hui.

Devenir une SA n'oblige pas à entrer en Bourse. Vous y êtes pourtant aussi favorable...
Il serait tout à fait logique que ces entreprises soient cotées en Bourse, car cela leur permettrait de rassembler davantage de capitaux, et donc d'être plus forts!

Votre initiative a pourtant été fortement rejetée à l'époque. Pour quelle raison?
Les représentants des coopérateurs dans leur écrasante majorité ont voté contre, car ils veulent préserver leurs avantages. Quant aux coopérateurs simples, ils n'ont jamais pris position.

Les consommateurs ne risqueraient-ils pas de voir les prix augmenter?
Le statut de Coop ou Migros ne changerait pas grand-chose pour eux. C'est la concurrence qui fait baisser les prix, et non la forme juridique.

«Le duopole actuel est une situation de concurrence»

Yette Jaggi , il y a dix ans vous étiez plutôt pour que Migros et Coop deviennent des SA...
J'estimais que la démocratie coopérative était impraticable dans une très grande entreprise, et qu'il serait plus honnête de le reconnaître en changeant la forme juridique.

Ce n'est plus le cas?
Non, car on voit que si cette démocratie ne fonctionne plus, certains principes restent, inscrits par l'histoire dans la philosophie de ces entreprises, et qui ne seraient pas forcément repris dans les statuts d'une société anonyme. En Suisse en tout cas, les grandes coopératives parviennent à profiter de l'inéluctable processus de concentration qui se poursuit dans le commerce de détail, plus justement appelé grande distribution. En outre, les grandes sociétés coopératives nationales, comme Coop en Suisse, travaillent depuis longtemps à l'échelle internationale, au niveau échanges d'expérience et achats en commun notamment.

Pourquoi le président de la ComCo relance-t-il cette idée de transformation en SA?
A défaut de raison économique, on pourrait y voir une motivation idéologique. Mais je m'étonne qu'un libéral comme le professeur Stoffel fasse moins confiance au marché qu'aux structures juridiques pour promouvoir la concurrence. Décidément, le droit économique et la pratique des affaires sont souvent deux mondes bien différents.

Il met en avant un meilleur contrôle des fonds investis, grâce aux actionnaires...
Je ne crois pas une seconde que les actionnaires puissent exercer une quelconque influence sur la stratégie des SA - ce n'est d'ailleurs pas leur rôle. Ils n'ont que des attentes en matière de valeur actionnariale. Même les gros actionnaires les mieux informés, comme les gérants de fonds de pension, demeurent impuissants: voyez UBS, dont les actionnaires n'ont été consultés qu'au moment de réparer les dégâts...

Instaurer des SA ne pourrait-il pas contribuer à briser l'hégémonie de Coop et de Migros?
En aucune façon. D'ailleurs, le duopole actuel n'empêche pas le maintien d'une vive concurrence entre les deux rivales, situation plutôt favorable aux consommateurs. En revanche, les producteurs et autres fournisseurs subissent de fortes pressions, y compris ceux qui appartiennent aux groupes Migros et Coop. Mais transformer ces dernières sociétés anonymes, cotées en Bourse ou non, n'y changerait rien. Sauf que les prix aux consommateurs devraient incorporer les dividendes à payer aux actionnaires.

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