Internautes sous surveillance
BIG BROTHER Le préposé fédéral à la protection des données est saisi d'une plainte contre une société suisse qui surveille sans droit les internautes
LUDOVIC ROCCHI
21 avril 2007
Depuis l'affaire des fiches, la Suisse se montre très chatouilleuse sur la protection de la vie privée de ses citoyens. Les écoutes téléphoniques préventives sont très strictement réglementées, même contre les terroristes. Surprise: la même Suisse héberge l'espion le plus puissant d'Internet, à savoir la société Logistep AG, basée à Steinhausen dans le canton de Zoug. Ses puissants ordinateurs peuvent surveiller en permanence jusqu'à deux millions d'échanges de fichiers sur Internet à travers le monde.
Cible privilégiée: les réseaux «peer to peer», qui offrent le partage de musique, de films, de jeux vidéo et autres logiciels protégés par des droits d'auteur. L'adresse IP des «pirates» est relevée et sert ensuite à leur réclamer de l'argent en les menaçant de poursuites judiciaires s'ils ne payent pas.
Violation de la vie privée
C'est ainsi que Logistep présente sa mission, mais sa surveillance préventive touche tout utilisateur d'Internet et pas seulement ceux qui s'échangent du contenu protégé. Cette violation de la vie privée vient d'être dénoncée au préposé fédéral à la protection des données. Dans un courrier envoyé vendredi à Berne, un célèbre «pirate» d'Internet explique par le menu comment les activités de Logistep s'apparentent à du «chantage et de la collecte illégale de données». Le plaignant a lui-même été victime de la surveillance sur Internet, par une autre société basée aux Etats-Unis. Sous le nom de code de Razorback, ce Valaisan est connu dans le monde entier pour avoir offert un des plus puissants serveurs d'échanges de fichiers. Son site a été bouclé et il fait l'objet d'une plainte pénale des grandes compagnies américaines du film.
Son avocat, Sébastien Fanti, explique les motivations de Razorback: «Nous voulons empêcher que des privés fassent la loi sur Internet. Nous sommes en possession d'avis de droits suisse, belge et français qui démontrent que la surveillance privée est illégale. Cette tâche doit rester en mains de l'Etat. La Suisse doit prendre conscience du problème, elle qui abrite la société la plus active dans ce domaine.»
Le Préposé fédéral à la protection des données ne veut évidemment pas prendre position sur une plainte qu'il vient de recevoir. Mais son porte-parole, Daniel Menna, confirme que les activités de Logistep sont dans son collimateur: «Nous sommes en train d'étudier le problème de la surveillance d'Internet avec nos collègues européens. Il existe un intérêt légitime à sauvegarder ses droits d'auteurs. Mais les moyens techniques utilisés doivent respecter la sphère privée. Dans ce sens, le monitorage général des échanges de fichiers pose problème.»
La polémique s'étend en France
La traque de Logistep a déjà débouché sur des procès en Allemagne, où 20 000 internautes accusés d'avoir téléchargé illégalement des jeux vidéo ont été sommés de payer un arrangement à l'amiable. La polémique s'est déplacée en France, où 5000 autres internautes ont reçu un courrier les enjoignant à payer 400 euros pour éviter un procès. Le Tribunal de Grande instance de Paris a un peu vite accepté que les fournisseurs d'accès à Internet livrent l'identité de leurs clients en fonction des adresses IP détectées par Logistep. Le procédé a été dénoncé devant l'équivalent français du préposé à la protection des données.
Président de Logistep, Richard M. Schneider dit ne pas craindre ces dénonciations: «Depuis 2004 que nous sommes actifs, nous sommes habitués à être violemment attaqués par les mauvais perdants que nous identifions en train de pirater du contenu protégé.» Il ajoute avoir déjà rendu des comptes au Préposé fédéral à la protection des données et affirme que «tout est en ordre». A l'évidence ce n'est pas le cas, puisqu'une enquête est en cours, indépendamment de la plainte de Razorback. Reste à savoir pourquoi aucun internaute suisse n'a encore été poursuivi? «En Suisse, la justice ne permet pas de chercher un arrangement à l'amiable. Si nous transmettons les adresses IP, il y aura une avalanche de procès. Ce n'est pas notre but», explique Richard M. Schneider.
Un nouveau business
En clair, il s'agit de faire rentrer de l'argent. Forte de onze employés à Zoug et d'un réseau mondial de bureaux d'avocats, Logistep voit d'ailleurs ses affaires se développer à grande vitesse, affirme son président sans donner de chiffres. Ce nouveau business échappe pour l'instant à tout contrôle. Et rien ne dit que la surveillance s'arrêtera aux échanges de jeux et autres DVD...
© Le Matin Online
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