e m'appelle Tarantula. Ce n'est pas mon vrai nom, mais l'information que je vais vous livrer va mettre en danger ma vie et mettre fin au secret bancaire suisse." Quand, en août 2007, le bureau du Financial Times à Zurich reçoit ce mystérieux coup de téléphone, personne ou presque n'a jamais entendu parler de Bradley Birkenfeld, l'homme par qui le scandale UBS est arrivé.
La fraude porte sur des milliers de comptes secrets ouverts au nom de sociétés offshore, trusts et fondations, pour un montant de 20 milliards de dollars (14 milliards d'euros). En violation des engagements pris : en 2001, UBS, comme d'autres établissements suisses, a signé un accord avec les Etats-Unis - le Qualified Intermediary (QI) - l'engageant à fournir l'identité de ses clients américains au fisc de leur pays. Officiellement, la banque n'a pas le droit de prospecter sur le territoire américain à partir de la Suisse.
Bradley Birkenfeld va enchaîner les dépositions devant l'Internal Revenue Service (IRS, fisc américain). Il est aussi auditionné par la sous-commission d'enquête permanente du Sénat. Documents et expérience à l'appui, il décrit l'incroyable cuisine des banquiers d'UBS. Une collaboration qui ne l'a pas empêché d'être condamné, vendredi 21 août, à trois ans et quatre mois de prison ferme par le tribunal fédéral de Fort Lauderdale, en Floride, pour avoir aidé un milliardaire américain, Igor Olenicoff, à dissimuler 200 millions de dollars.
"Il y avait environ 25 personnes à Genève, 50 à Zurich et de 5 à 10 à Lugano (...). C'était une machine puissante. Je n'ai jamais vu une banque aussi importante faire de tels efforts pour cibler le marché américain", confie Birkenfeld, le 11 octobre 2007, aux auditeurs de la sous-commission d'enquête permanente du Sénat.
Quatre à six fois par an, les banquiers, raconte-t-il, se rendent dans les plus grandes villes américaines pour y rencontrer leurs riches clients et en attirer de nouveaux. Le département de la sécurité intérieure (Homeland Security) a répertorié 500 voyages effectués de 2001 à 2008 par une vingtaine de banquiers.
Au cours de ces visites, qui durent une à deux semaines, le rythme est effréné. "Nous devions assister aux événements sportifs. Nous devions aller dans des salons automobiles ou des dégustations de vin... L'idée était d'aller là où flânent les gens riches, et de leur parler", confie Bradley Birkenfeld. Pas difficile durant un cocktail de tendre sa carte de visite : "Les gens voyaient immédiatement en vous quelqu'un pouvant ouvrir de nouvelles perspectives et des comptes en banque."
La foire de Bâle à Miami (Art Basel Miami), en partie sponsorisée par UBS, est à l'époque une place de choix pour rencontrer de riches Américains. Mais il y a aussi les tournois de golf ou de voile, les concerts de musique classique. Pour les Américains fortunés, l'avantage de confier leurs millions à un banquier suisse est toujours le même : "Evasion fiscale... Les gens ont aussi toujours aimé l'idée qu'ils pouvaient cacher quelque chose à leur épouse, ou peut-être à leur partenaire en business." "Durant toute ma carrière, je n'ai jamais vu quiconque déclarer un seul de ces comptes suisses", témoigne Birkenfeld.
Les banquiers d'UBS, entourés d'un réseau d'avocats et de comptables, proposent d'ingénieux montages. L'identité des contribuables américains est cachée via des sociétés écrans. Bradley Birkenfeld travaillait main dans la main avec Mario Staggl, un avocat fiscaliste employé dans un trust au Liechtenstein. Le milliardaire Igor Olenicoff, qui avait ouvert des comptes en Suisse, en Angleterre et aux Bahamas, s'abritait entre autres, derrière des sociétés écrans au Liechtenstein et au Danemark, comme le détaille l'acte d'accusation de Birkenfeld.
Les banquiers prodiguent également des conseils à leurs clients : déposer de l'argent liquide dans des coffres en Suisse, ou encore acquérir avec les fonds non déclarés des bijoux, ou des oeuvres d'art. Pour l'un d'entre eux, Bradley Birkenfeld raconte avoir acheté des diamants, ensuite emportés aux Etats-Unis dans un tube de dentifrice. La règle d'or est la discrétion. Pour entrer sur le territoire américain, certains gestionnaires de fortunes se font passer pour des touristes ou des amis. Dans leurs mallettes, ils ont des notes cryptées contenant des informations bancaires, des documents écrits à la main avec des noms de code. Leurs ordinateurs sont équipés pour recevoir des informations ultraconfidentielles. "Même si les douaniers américains les avaient ouverts, ils n'auraient rien vu", ajoute Birkenfeld.
Tout cela est destiné aux clients auxquels on déconseille de recevoir leurs relevés de compte par la poste ou de communiquer par courriel ou par téléphone. Et quand les riches Américains se déplacent en Suisse, en moyenne tous les six mois, les documents qu'ils consultent sont ensuite passés à la broyeuse.
Bradley Birkenfeld n'hésite pas non plus à charger ses supérieurs. Selon lui, Martin Liechti, alors chef de la division gestion de fortunes pour le continent américain, fixait à ses troupes des objectifs toujours plus élevés pour attirer de riches Américains fraudeurs du fisc. En avril 2008, il a été brièvement interpellé à New York, son ordinateur portable saisi. Les enquêteurs y ont trouvé d'intéressants documents. Comme ce courriel de bonne année envoyé en 2007 : "Nous sommes passés en 2004 d'un montant de 4 millions (de dollars) de fonds sous gestion par conseiller en clientèle à un montant de 17 millions en 2006. Nous devons continuer à avoir de l'ambition et aller jusqu'à 60 millions ! (...) Ensemble, en équipe, je suis convaincu que nous allons réussir."
Rien ne prédestinait Bradley Birkenfeld à déclencher un tel scandale. La carrière de cet homme issu de la bonne bourgeoisie du Massachusetts a d'abord démarré en fanfare. En 2001, après avoir travaillé durant cinq ans à Genève pour le Crédit suisse et la Barclays, il est engagé par UBS. Dans ses bagages, il amène le fameux milliardaire Igor Olenicoff. Une lettre de recommandation de travail atteste alors de son caractère "très communicatif" et de son "esprit positif".
Mais, dès 2004, le vent tourne : on lui reproche son manque de performance. Le ton monte. L'Américain tombe alors incidemment sur une directive d'UBS indiquant que la prospection de nouveaux comptes aux Etats-Unis est interdite. Tout le contraire de son job ! Le banquier, qui se rêve soudain dans la peau d'un whistleblower ("dénonciateur d'irrégularités") aurait signalé la chose à sa hiérarchie, comme il l'a raconté aux enquêteurs. Sans succès. Fin 2005, furieux et amer, il claque la porte d'UBS, avec une indemnité de 500 000 francs suisses (329 000 euros), emportant également des documents, courriers et courriels compromettants.
Il aurait sans doute poursuivi ailleurs sa carrière de gestionnaire de fortunes, si son client Igor Olenicoff n'avait pas été confondu par le fisc puis jugé en avril 2007. Bradley Birkenfeld apprend alors qu'il a été dénoncé, et décide de se mettre à table.
Pour le moment, il est le seul banquier d'UBS à avoir été condamné. Le 19 août, après la signature d'un accord extrajudiciaire entre Washington et Berne, la banque a échappé de justesse à un retentissant procès, le grand déballage public a donc été évité. UBS devra transmettre d'ici un an les données de 4 450 comptes bancaires non déclarés, alors que la demande du fisc portait au départ sur 52 000 comptes.
Mais presque chaque semaine de nouveaux détails sur le scandale UBS remontent à la surface aux Etats-Unis. D'anciens clients américains de la banque commencent à sortir du bois. Cent cinquante ont déjà été inculpés sur la base de données transmises en février par la Suisse. Quatre d'entre eux ont plaidé coupable. Leurs dépositions sont consultables sur le site du tribunal du district sud de Floride.
Fin juillet, Jeffrey Chernick, un industriel du jouet qui a dissimulé 8 millions de dollars, lançait un pavé dans la mare. Il racontait comment son banquier suisse, employé d'abord par UBS puis par un petit établissement zurichois, et son avocat lui rendaient visite "habillés en touristes pour ne pas être repérés". M. Chernick dit que, un an plus tôt, alors que l'affaire UBS éclatait, il a voulu se signaler au fisc. Ses conseillers l'en auraient dissuadé. Le banquier lui aurait proposé un service : un de ses contacts haut placés à Berne pouvait vérifier si son dossier faisait partie de ceux qui intéressaient Washington. Cette prestation aurait été payée 45 000 dollars. Une enquête a été ouverte en Suisse.
Vous pouvez consulter les déclarations de Bradley Birkenfeld aux adresses suivantes :
http://hsgac.senate.gov/public/_files/071708PSIReport.pdf
http://gswlaw.com/irsblog/2009/03/04/united-states-of-america-v-ubs-ag-declaration-of-daniel-reeves
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