RECIT. Le 8 octobre, la crise de la grande banque a atteint un sommet. La BNS a dû trouver une solution. La panique des clients était tangible.
Myret Zaki
Vendredi 17 octobre 2008
Le 8 octobre 2008, c'est le jour où UBS a frôlé la catastrophe. Ce jour-là, plus aucune banque en Suisse n'acceptait de prêter à une autre banque, encore moins au géant de la Bahnhofstrasse. A l'origine de toutes les peurs: la crainte d'une faillite d'UBS, l'acteur européen le plus touché par la crise des «subprime».
Tout établissement, en Suisse, avait potentiellement UBS comme contrepartie. «Le marché du refinancement interbancaire est mort, c'est une catastrophe!» nous avait lancé, très tôt ce matin-là, un spécialiste proche de la Banque nationale suisse (BNS), aux abois. Il devait, en un rien de temps, trouver des solutions pour les entreprises, nombreuses, qui retiraient leurs fonds de trésorerie déposés à UBS. Il avait téléphoné aux principales banques, et avait reçu la même réponse: que ce soit Raiffeisen, PostFinance, ou la Banque cantonale de Zurich, toutes avaient reçu, ce jour-là, la consigne de refuser les dépôts en fuite. Face à la masse inouïe de dépôts transférés, aucune ne pouvait garantir qu'elle pourrait les rémunérer sous forme d'intérêts. «Elles n'arrivent plus, elles aussi, à refinancer leurs dépenses au jour le jour!» disait-il.
Les entreprises clientes d'UBS étaient encore plus fébriles. Comme cette petite entreprise romande: «L'argent de la boîte est chez UBS, et je n'ai plus confiance, il faut le déplacer. Mais où? Personne n'accepte les dépôts!» confiait son chef comptable. Au final, plusieurs entreprises ont dû déposer leurs liquidités directement auprès de la BNS, sur des comptes parfois non rémunérés.
UBS, à court de refinancement, a réellement frôlé le défaut de paiement ce jour-là. La grande banque, dont les besoins trimestriels en fonds de roulement sont évalués à 700 milliards de francs, soit l'équivalent d'un plan Paulson tous les trois mois, n'avait tout simplement plus accès à des fonds à court terme. Tout reposait sur la BNS, seule capable de prendre des dépôts et d'injecter des liquidités à des banques au bord de l'asphyxie. «C'est tout le système du trafic des paiements qui menace d'exploser!» s'écriait, ce jour-là, ce proche de la BNS. «Je n'ai plus qu'à rentrer chez moi.» Les banques auraient même sollicité les banquiers privés, pour savoir s'ils accepteraient de prendre des liquidités du marché monétaire. «Le problème est que les banquiers privés n'ont pas de desk de marché monétaire. Il aurait fallu qu'ils placent ces liquidités en obligations suisses. L'idée n'a jamais abouti, mais c'est dire jusqu'où est allée la réflexion!» raconte une autre source.
Selon un témoignage, UBS était néanmoins prête à verser le maximum d'intérêts sur les dépôts, tant qu'elle le pouvait, pour retenir les entreprises clientes. Comme dans le cas de cette même entreprise romande: «Finalement, avait dit le comptable, nous resterons à l'UBS: ils nous proposent des taux défiant toute concurrence!» Reste que, en ce début d'octobre, c'était le refus même des autres banques de prêter de l'argent à UBS, combiné aux retraits massifs d'avoirs de clients, qui risquait de la précipiter dans la faillite.
Déjà au 30 septembre, UBS avait eu un mal fou à boucler son tour de refinancement trimestriel. Jusqu'à la dernière minute, la BNS n'était pas sûre que la banque y arriverait. D'où les propos rassurants du régulateur, sans lien avec la réalité: «Les banques suisses sont bien capitalisées», avait déclaré la Commission fédérale des banques fin septembre. La CFB espérait restaurer un tant soit peu de liquidité sur le marché interbancaire. En vain. Ce n'est que grâce aux apports de la BNS qu'UBS, sous perfusion, pouvait continuer à financer son fonds de roulement et éviter le défaut. Nous avions alors appris que des employés du département de la stabilité et du risque de la BNS faisaient la navette entre Berne et Zurich depuis septembre, pour s'assurer que la situation était sous contrôle. Mais en ce jour du 8 octobre, une semaine après, UBS se retrouvait à nouveau au bord du gouffre. Clairement, à ce stade, la BNS avait atteint ses limites pour refinancer UBS et l'ensemble du système bancaire. «C'était une situation très délicate et insupportable du point de vue légal pour la BNS, nous confie une source. Elle commençait à engager des fonds sans garantie. Il fallait une solution de refinancement permanente.»
C'est ainsi qu'entre le 8 et le 16 octobre, les autorités ont respecté un silence de plomb. Le risque systémique posé par la grande banque paralysait le marché bancaire suisse, alors qu'une détente était visible dans la zone euro après les interventions européennes.
Le silence était la seule option: l'hémorragie des retraits - qui ont atteint 84 milliards de francs sur le seul troisième trimestre - n'autorisait plus aucun faux pas. «A l'interne de la banque, la consigne était de ne surtout plus rien divulguer dans l'intervalle, avant d'avoir un plan achevé à communiquer», affirme une personne proche de la direction d'UBS.
Des avertissements de nature anxiogène auraient risqué de vider la banque de ses comptes. Déjà, une quantité alarmante d'épargnants, qui ne supportaient pas de voir le fruit d'une vie de labeur balayé, ont retiré leurs deniers.
Jamais autant que ces derniers jours, les conversations n'étaient autant ponctuées par la question: «Dois-je fermer mon compte à UBS?» Des retraités ont pris peur pour leur capital-vieillesse et l'ont déplacé vers les banques cantonales. Certains ont eu le déclic lorsque, soudain, leur gérant ne répondait plus au téléphone. Mais ce n'est pas tout. «Depuis quelques mois, ce n'étaient plus juste les petits clients qui partaient d'UBS, confie un banquier de la place, ce sont les clients les plus fortunés, ces clients sophistiqués qui avaient suivi UBS jusqu'ici, et qui ont fini par privilégier la sécurité». UBS devait, coûte que coûte, sauver sa gestion de fortune privée, le seul métier phare sur lequel elle mise désormais à l'avenir.
A la rédaction du Temps, des témoignages négatifs sur UBS arrivaient tous les jours. Mais comment en rendre compte sans contribuer directement à aggraver la situation? Comment vérifier l'état réel de la banque alors qu'elle se taisait?
Les analystes financiers qui suivent UBS n'ont pas échappé, eux non plus, à cette censure forcée: aucun n'avait la moindre idée des annonces à venir, et les rapports affichaient des estimations souvent absurdes, situant en moyenne à 3 milliards de francs les amortissements d'UBS au troisième trimestre, et excluant toute recapitalisation.
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