samedi 22 avril 2006

Swisscom ou le triomphe de la peur

Swisscom ou le triomphe de la peur

Analyse.

Pierre Veya
Vendredi 21 avril 2006

La privatisation totale de Swisscom (SCMN.VX) est compromise pour de mauvaises raisons politiques. Hans-Rudolf Merz a beau répéter ses intentions: sous la Coupole bernoise, une majorité est convaincue que la vente des actions de Swisscom a peu de chances de passer la rampe devant les deux Chambres et encore moins devant le peuple. Face à une coalition du refus «par principe» (socialistes, Verts, démocrates-chrétiens), face à des radicaux échaudés par les défaites électorales et des démocrates du centre qui jouent la carte régionaliste, le dossier Swisscom va être remis dans les tiroirs aussi vite qu'il en a été sorti.

L'ombre électorale

On laissera passer les élections fédérales de 2007, comme si l'usure du temps était une réponse appropriée aux problèmes d'une entreprise déstabilisée par un actionnaire qui tremble de trouille à chaque fois qu'une décision stratégique surgit. En clair, personne ne veut assumer la responsabilité d'une privatisation perçue comme impopulaire, mal comprise, considérée par beaucoup comme précipitée, et mise sur la table après un cafouillage politique irresponsable.

La couardise l'emportera sans doute, avec la bénédiction des conservateurs de gauche et de droite. Le temps des élections fédérales, on oubliera les risques liés à des acquisitions à l'étranger, l'absence de réelle concurrence sur le marché intérieur, les conflits d'intérêts entre le régulateur et l'Etat-actionnaire qui abuse de manière éhontée de sa position dominante et les dividendes colossaux versés à ses actionnaires par un employeur qui licencie sans discontinuer depuis dix ans.

Le risque subsiste

Le citoyen-contribuable, lui, assumera le risque d'un actionnaire majoritaire dans une société trop à l'étroit sur son marché intérieur et continuera de payer très cher ses communications téléphoniques. Quant à Swisscom, le poids de la Confédération lui assure certes une forme de protection contre la concurrence mais toute initiative de sa part, un tant soit peu audacieuse, sera à coup sûr sous la haute surveillance politicienne. On peut sérieusement douter que ce climat soit propice à la réinvention d'une entreprise qui affronte des changements technologiques considérables et qui devra renoncer à une part toujours plus considérable de ses revenus traditionnels.

Si les partisans de la privatisation ont eu raison d'insister sur les risques et les conflits d'intérêts de l'actionnaire majoritaire, ils ont commis une erreur majeure de communication. La privatisation aurait dû être préparée beaucoup plus tôt et présentée sous le seul angle défendable: donner à une entreprise et à ses employés le meilleur cadre possible pour se développer et prospérer. Car au fond, il s'agit de cela. Le retrait de la Confédération du capital de Swisscom n'a rien à voir avec une opération financière, pas plus qu'il ne répond à une posture idéologique comme le prétendent les conservateurs. Il s'agit de prendre acte du fait que les télécoms sont un secteur mûr, qui n'a plus besoin de la protection de l'Etat pour se développer. Au contraire. Swisscom a besoin de liberté et de pouvoir prendre des risques à la hauteur des enjeux d'un secteur qui vit une accélération des innovations technologiques qui terrasseront les acteurs trop lents. C'est une chance pour Swisscom et ses employés, à condition que la liberté entrepreneuriale ne soit pas bridée par des considérations qui n'ont rien à voir avec une société privée qui évolue sur un marché concurrentiel. Cette chance, le Conseil fédéral pas plus que les partis politiques n'en ont parlé. Résultat, pour une partie importante de l'opinion publique, la privatisation est vécue à tort comme une régression, le début d'un affaiblissement de la qualité des services fournis par l'industrie des télécoms alors que la libéralisation prouve le contraire.

La concurrence dérange

Bref, tout se passe comme si le refus de la privatisation était le dernier rempart contre une ouverture des télécoms à la concurrence qui n'a jamais été acceptée par les conservateurs qui rêvent d'un Etat tutélaire qui décide de tout. Les étatistes refusent de comprendre que la Confédération doit se concentrer sur sa tâche essentielle: la régulation du marché. Elle peut évidemment demeurer actionnaire, mais sa frustration ne fera que croître car elle ne pourra jamais concilier sa responsabilité d'actionnaire avec l'impartialité qu'exige son métier de régulateur. Qui va-t-elle défendre? Les consommateurs? ou les intérêts des actionnaires? Qui doit-elle privilégier en cas de conflit entre la direction et les salariés? Que se passera-t-il si Swisscom perd l'accès à une concession comme on ne peut pas l'exclure dans un marché concurrentiel? Ces conflits sont inévitables à moins de considérer que la participation de la Confédération dans l'opérateur historique n'a qu'un but strictement financier... le seul qui soit raisonnable pour l'actionnaire d'une société privée. Pour tenter de concilier l'inconciliable, on peut imaginer que la Confédération isole sa participation et en confie la surveillance à un conseil de sages, chargé de la représenter au conseil d'administration de Swisscom. Car jusqu'ici, et on l'a peut-être oublié, le Conseil fédéral ne sait pas comment exercer concrètement son devoir d'actionnaire, bien qu'il en assume tous les risques.
http://www.letemps.ch/template/economie.asp?page=9&article=179397

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