mardi 24 novembre 2009

En plus de vous raser, Gillette vous tond | LeMatin.ch

Le prix des lames de rasoir Gillette augmente à intervalles réguliers depuis de nombreuses années, sur les recommandations du géant américain. Migros a décidé cette semaine de mettre un terme à cette spirale en dénonçant des tarifs surfaits et en baissant les prix jusqu’à 40%. Les autres distributeurs lui ont immédiatement emboîté le pas. Décryptage de cette nouvelle bataille dans la guerre des prix

Alexandre Haederli - le 21 novembre 2009, 21h05
Le Matin Dimanche

Se raser peut coûter cher. Les fidèles de la marque Gillette sont particulièrement bien placés pour le savoir. Ces dernières années, ils ont constaté avec dépit que le prix des lames de rechange n’a cessé d’augmenter.

Ces hausses découlent directement des recommandations émises par la multinationale Procter & Gamble qui a racheté le fabricant de rasoirs en 2005. Dernier exemple en date: au début du mois d’août, le fournisseur conseillait aux distributeurs de fixer le prix pour huit lames de rechange «Fusion Power» à… 49.90 francs. Plus de 6 francs la lame.

C’est huit fois plus qu’une lame standard commercialisée par Migros ou Coop sous leur propre marque (comme «His Way») et largement au-dessus des prix de son principal concurrent Wilkinson.

A quand la sixième lame?

Comment Gillette peut-elle justifier de telles augmentations? «Nous investissons continuellement dans la recherche et le développement de nos systèmes de rasage afin de les optimiser et de les améliorer en permanence», répond la porte-parole Irène Kämpfen.

Un exemple: rien que pour son modèle «Fusion», ce ne sont pas moins de vingt brevets qui ont été déposés, se vante Gillette sur son site Internet.

Reste que pour l’utilisateur moyen, la principale innovation tangible est l’ajout d’une lame supplémentaire tous les deux ou trois ans. Les derniers modèles de marque Gillette en comptent actuellement cinq. La dernière venue est présentée comme une «lame de précision pour les endroits difficiles». Avec une nouvelle augmentation des prix de vente, Gillette veut probablement financer la recherche d’une sixième lame…

L’autre élément qui, on le devine même si la porte-parole a oublié de le mentionner, doit peser lourd dans le budget de la marque, c’est le marketing. Gillette met le paquet pour asseoir sa position de leader mondial du rasoir (70% de parts de marché): des publicités en veux-tu en voilà et surtout des contrats de sponsorings avec les sportifs les plus chers de la planète dont Roger Federer, Tiger Woods et Thierry Henry.

Les augmentations de prix à répétition pratiquées par Gillette n’agacent pas que les utilisateurs. A l’heure où la guerre des prix fait rage entre les grands distributeurs, ceux-ci rechignent à répercuter les hausses conseillées par le fabricant.

Des prix «exagérément élevés»Il y a tout juste une semaine, Migros a donc décidé de frapper fort. Le géant orange a baissé drastiquement les prix des produits Gillette. Le paquet de 8 recharges «Gillette Sensor 3» coûte depuis lundi 13.40 francs, contre 21.90 auparavant.

Le leader suisse de la grande distribution dénonce des prix «exagérément élevés» et des hausses «incompréhensibles». Il n’hésite pas à accuser Gillette de «viser uniquement une croissance de marge». Une communication pour le moins agressive dont Migros n’est pas coutumière.

Visiblement la dernière hausse réclamée par Procter & Gamble a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. «Au mois d’août, nous avions choisi de ne pas suivre la recommandation de hausse et gardé nos prix stables, explique Nathalie Eggen, porte-parole. Mais pour faire bouger le marché, il fallait une action forte.»

Gillette, qui n’avait pas été prévenue de cette baisse, ne souhaite pas commenter cette décision. Et rappelle que «le prix de vente au consommateur final est fixé de manière autonome par le magasin, Gillette n’émettant qu’une recommandation».

Dans cette opération, la marque américaine ne perd pas un centime: l’entier de cette baisse sera supporté par la Migros. «On estime le manque à gagner à environ 5 millions de francs par an, précise Nathalie Eggen. Mais nous faisons toujours un bénéfice sur ces produits.»

Choc des titans

Si Migros peut se permettre de diminuer aussi fortement sa marge sur les lames de rasoir Gillette, cela signifie-t-il que jusqu’ici celle-ci était trop importante? Pas du tout, répond la porte-parole. Pour pou-voir assumer cette baisse des revenus, Migros devra réaliser des
économies à d’autres niveaux, «comme dans la logistique ou le budget publicitaire».

En dénonçant des prix surfaits et en pratiquant des baisses importantes, Migros se place du côté du consommateur et réalise surtout une bonne opération de communication. «Ce qui est nouveau dans ce cas, c’est que le conflit entre un producteur et un distributeur est porté sur la place publique, en prenant le consommateur à témoin», analyse Jean-Claude Usunier, professeur et directeur du département de marketing à HEC Lausanne.

Sur le fond, la décision de Migros est saluée par les observateurs. «Cela me réjouit d’une part pour les consommateurs et, de l’autre, parce que cela indique que les recommandations de prix des fabricants ne sont pas toujours suivies aveuglément par les commerçants», explique Stefan Meierhans, surveillant des prix à la Confédération.

Une opinion partagée à la Commission de la concurrence, qui s’était penchée sur le dossier au début
de l’année. «Le prix des lames est très élevé et nous avions remar-
qué que la plupart des grands distributeurs pratiquaient des prix identiques, notamment sur les produits
de marque Gillette, raconte le
directeur suppléant, Patrik Ducrey. Mais les observations que nous avons faites ont montré que certains détaillants, comme des drogueries par exemple, proposaient des prix plus attractifs que les grandes surfaces pour des produits identiques. Il n’y avait donc pas de cartel, ni d’abus de prix par une entreprise dominante.»

Coop, Denner et même Manor
La concurrence joue donc son rôle, et, autre élément réjouissant, la décision de Migros de faire chuter les prix des produits Gillette a suscité cette semaine une réaction en chaîne dans le secteur de la grande distribution. Coop a rapidement réagi en alignant au centime près ses prix sur ceux de Migros. Idem chez le discounter Denner. Même Manor a retranché ses prix en catimini: «Comme nous ne voulons pas nous définir seulement par le prix, nous avons décidé de ne pas mettre en avant la communication sur la baisse», glisse Elle Steinbrecher, porte-parole.

Mais pourquoi les autres distributeurs n’ont-ils pas décidé de baisser les prix les premiers? «Nous faisons nos prix en fonction du marché et de la concurrence», se contente de répondre Nicolas Schmied, porte-parole chez Coop. En fait, tous peinent à donner une réponse convaincante. Espérons que l’initiative de Migros donnera des idées à ses concurrents et fera baisser le prix d’autres articles qui connaissent des hausses régulières et injustifiées.

Des systèmes qui rendent le client captif

Si Gillette et ses principaux concurrents peuvent se permettre de vendre si cher leurs lames de rechange, c’est en partie dû au fait que le client est «captif».

Une fois qu’il a acheté un rasoir d’une marque donnée, il est obligé de se pourvoir en nouvelles lames chez elle. Conséquence: puisqu’il est assuré de vendre régulièrement la recharge nécessaire, le fabricant peut se permettre une politique de prix assez libre. «C’est comme ça que l’on arrive à des prix disproportionnés, pointe Jean-Claude Usunier, professeur et directeur du département de marketing à HEC Lausanne. Et au final, les prix de vente n’ont plus rien à voir avec les coûts de fabrication.»

Cette stratégie n’est pas propre aux vendeurs de rasoirs. D’autres biens de consommation courante fonctionnent sur le même modèle. Les machines à café qui utilisent des capsules, à commencer par celles de Nespresso, sont des références en la matière. Tout comme les imprimantes dont les cartouches coûtent parfois plus chères que l’appareil lui-même. Depuis quelques années, les utilisateurs de brosses à dents électriques, avec tête interchangeable, se retrouvent dans la même situation. Enfin, une grande partie du marché des pièces détachées automobiles fonctionne sur un modèle identique.

Attention au prix des recharges
«On peut considérer que ces pratiques qui consistent à verrouiller le consommateur auprès d’un fabriquant puis à augmenter régulièrement les prix sont très discutables, estime Jean-Claude Usunier. D’ailleurs les gens commencent à sérieusement se poser des questions.»

Que peut donc faire le consommateur face aux pros du marketing? Pas grand-chose malheureusement. «Ces stratégies commerciales ne sont pas illégales, constate le Monsieur Prix de la Confédération, Stefan Meierhans. Au moment d’acheter son rasoir ou son imprimante, le consommateur dispose d’un vrai choix. Il faut simplement qu’il soit conscient qu’il sera ensuite lié à la marque sur une longue durée.»

Un conseil donc: avant d’opter pour un produit, mieux vaut aller jeter un coup d’œil au prix des recharges pour éviter autant que possible les mauvaises surprises. «Pour se faire une idée, on peut également essayer de calculer combien cela coûtera sur une année», ajoute Stefan Meierhans.

1 commentaire:

Juliette a dit…

Il n'est pas question d'utiliser gilette, je préfère payer régulièrement un bon coiffeur barbier bordeaux à mon mari