dimanche 24 mai 2009

La Liberté ¦ Quotidien romand édité à Fribourg

LES DOUANIERS SE TRANSFORMENT PEU À PEU EN «POLICIER FÉDÉRAUX»
SCHENGEN • Mais que faisaient ces douaniers dans l'Intercity Fribourg-Berne? Le 19 mars dernier, un journaliste de «La Liberté» se fait contrôler alors que le train vient de quitter Fribourg. En l'absence de convention signée avec le canton, cette intervention est illégale. Mais s'agit-il vraiment d'un contrôle de routine? «Je pense que la douane est en train de se transformer en police fédérale, pourtant refusée par le peuple suisse», réagit le conseiller d'Etat fribourgeois Erwin Jutzet. Pour le Corps des gardes-frontières, «si on signe la convention, on ne fait pas que des contrôles douaniers, mais aussi de police».
SID AHMED HAMMOUCHE
(photo Keystone)

Dans «Le Temps» du 11 mai, Michaela Rickenbacher, cheffe d'état-major au commandement du corps des gardes-frontières, affirme qu'aucun contrôle douanier n'a jamais été effectué dans le canton de Fribourg. Faux. La douane suisse prend ses aises avec la vérité et la géographie. «La Liberté» a vécu le 19 mars dernier un contrôle sur territoire fribourgeois. Il a eu lieu dans l'Intercity à 23 h 09, soit cinq minutes après le départ du train de la gare de Fribourg. Récit.Je suis seul dans le compartiment. A peine le train a-t-il démarré, voilà des agents en tenue bleue qui s'approchent de moi. «Contrôle douanier», dit le plus jeune des deux. Il parle français avec un fort accent alémanique. «Nous faisons, moi et mon collègue, un contrôle de douane.» Il me demande de montrer mes papiers. Il y a de quoi tomber des nues! Dans son édition du 10 janvier, «La Liberté» avait publié un premier article indiquant que de tels contrôles sont illégaux. Je le leur explique. «Vos responsables vous ont-ils correctement informé que vous n'avez pas le droit d'opérer sur ce tronçon tant qu'un accord n'a pas été signé avec les autorités fribourgeoises?»Les deux douaniers semblent surpris. «Non», répond le plus jeune. «On nous a dit de ne pas remettre les personnes appréhendées au canton de Fribourg. De ne pas communiquer de signalements ou de dénonciations à la Police cantonale fribourgeoise.»En clair, ils doivent éviter tout contact avec les autorités fribourgeoises. Et s'ils tombent sur une personne recherchée? «On doit la signaler à la police de Berne.» Cela dit, les deux hommes affirment qu'ils peuvent contrôler n'importe qui et n'importe où en Suisse.

Montrer son sac


«On fait un contrôle de douane, pas de police», poursuit le jeune douanier. «On cherche les marchandises et on vérifie les papiers. Je vous demande votre carte d'identité, ensuite je vous demande de montrer votre sac parce que les contrôles douaniers sont possibles dans toute la Suisse depuis l'entrée en vigueur des accords de Schengen, le 12 décembre 2008.» Convention entre les cantons et les douaniers ou pas.Pour leur défense, les deux douaniers affirment qu'ils ne peuvent pas savoir s'ils se trouvent sur le territoire fribourgeois ou non. «Moi, je ne vois pas si on est encore dans le canton de Fribourg ou de Berne», lâche le jeune douanier. Son collègue, proche de la retraite, sourit, gêné par cette situation saugrenue.
La Suisse est petite. Elle se traverse très rapidementMichaela Rickenbacher
Un argument que développait aussi Michaela Rickenbacher dans «Le Temps», en affirmant que la Suisse est petite et qu'elle se traverse très rapidement. Alors que dire d'un direct Fribourg-Berne... Bref: on nage en plein flou artistique et le jeune douanier, pris d'un doute profond, finit par laisser tomber son contrôle.Mais avant de me quitter, l'agent tente une dernière justification. «Entre Fribourg et Berne, le train ne s'arrête pas dans une autre station», plaide-t-il. «Le temps pour le contrôle est très court.» Puis il lâche, presque menaçant: «Nous avons une autre possibilité, qui est d'attendre avec une équipe de 5 ou 6 personnes à la gare de Berne et de contrôler ainsi tout le monde à leur descente du train. Cette méthode est encore plus embêtante.»

A lire encore dans notre édition complète:
> INTERVIEW (Erwin Jutzet, conseiller d'Etat): «La douane fixe les règles»
> CORPS DES GARDES-FRONTIERES: «Des contrôles douaniers, mais aussi de police»

La Liberté ¦ Quotidien romand édité à Fribourg

BEURRE AVEC SON LAIT, RIEN DE TEL QU'UNE COMMUNAUTÉ
PAYSANS • Couler du lait, ça eut payé... et ça peut encore payer! Réagissant à la pression sur les prix du lait, certains paysans regroupent leurs forces au sein de communautés d'exploitation. L'avantage n'est pas seulement économique. Au sein d'une telle structure, chaque paysan peut désormais avoir des vacances, se spécialiser dans certaines tâches ou obtenir de l'appui en cas de maladie ou d'accident. Revers de la médaille: une certaine perte d'autonomie et la nécessité de partager le pouvoir de décision avec ses partenaires. Renoncer à être seul maître à bord, c'est parfois assurer sa survie.
GéRARD TINGUELY
(photo Keystone)

«Si on devait repartir à zéro, je recommencerais», assure Josef Häfliger, à Alberswil. Lui et ses quatre collègues paysans ont créé il y a dix mois la plus grande exploitation laitière du canton de Lucerne. La nouvelle écurie a coûté 2,4 millions et 6000 heures de leur temps. Alors que le producteur moyen détient 23 vaches, 120 bêtes se prélassent ici, produisant un milllion de kilos de lait par an. Et ça pourrait aller jusqu'à 200 vaches: la place est prête pour un troisième robot de traite.L'avantage d'une telle communauté d'exploitation (l'équivalent de 31?2 pleins-temps contre 5 avant le regroupement) n'est pas seulement économique. Chacun part désormais en vacances, s'est spécialisé (bétail, fourrages et cultures, machines, administration et comptabilité, travail à l'extérieur) et a de l'appui en cas de maladie ou d'accident.

Un choix contraint


Mais pour renoncer à être seul maître à bord de «son» exploitation, il faut y être un peu contraint. A Alberswil, deux des fermes campaient au centre du village et deux autres jouxtaient un quartier d'habitation. Pas des conditions assurant à chacune un bon développement.La réunion des forces peut sauver des exploitations. Avec un prix du lait qui ne sera pas de sitôt celui espéré par Uniterre (1 franc/kg), la communauté part avec une longueur d'avance pour réduire les coûts de production. Et ceux-ci ne sont de loin pas uniformes.L'ingénieur Franz Sutter a examiné la comptabilité de 385 fermes de plaine, colline et montagne. Même s'ils ne sont pas totalement représentatifs, ces chiffres ne peuvent qu'interroger chaque producteur: «Qu'est-ce que mon collègue fait mieux que moi? Dans quel domaine puis-je m'améliorer?»

Un gros écart de revenu


L'étude révèle que les dix exploitations les plus performantes réalisent un profit de 14,9 centimes par kilo de lait quand celles du dernier quart perdent 32,5 centimes. Le revenu horaire généré par la production laitière va de 36,20 francs pour les premières à 5,30 francs pour les dernières!Chacune ayant des bases différentes, l'exploitation parfaite n'existe pas. Il y a donc au moins cinq voies pour dégager un revenu agricole suffisant, pour «s'améliorer avant de vouloir s'agrandir», selon l'ingénieur d'Agridea-Lindau (lire ci-dessous).

Chacun ne peut plus faire ce qu'il veut

Reste sa conclusion abrupte: le producteur n'influençant pas vraiment le prix du lait, la recette «magique» pour assurer sa compétitivité, c'est de réduire les coûts. Mais encore faudrait-il que chacun les connaisse, ce qui n'est pas toujours le cas. Pour y voir clair, les services cantonaux de vulgarisation agricole sont là .

Le courage de s'y mettre


Dans une communauté d'exploitation, chacun ne fait plus ce qu'il veut. Ainsi, tous les lundis, les Lucernois s'organisent et discutent des problèmes. «Nous avons dû apprendre à parler entre nous, à nous connaître», dit Josef. En 2000, les cinq paysans avaient déjà lancé une société d'ensilage et acheté des machines ensemble. Ce qui les a aidés pour la suite.

A Fribourg également


A Fribourg, on compte 164 communautés totales d'exploitation (tendance en hausse) et une bonne centaine de communautés partielles. Ce qui représente près d'un dixième des 3000 exploitations du canton.Selon Pascal Krayenbuhl, chef du Service de l'agriculture, «il faut le courage de se mettre ensemble. Ce sens du collectif est une particularité et une force du monde paysan. C'est bien moins présent chez les médecins ou les artisans».