mercredi 18 octobre 2006

Licenciée pour une toute petite croix

Licenciée pour une toute petite croix


INTOLERANCE. Une employée de British Airways a reçu son congé pour avoir refusé d'ôter la croix qu'elle porte au cou.



Eric Albert, Londres
Mercredi 18 octobre 2006



Quand la France a interdit le foulard musulman dans les écoles publiques en 2004, la réaction a été unanime au Royaume-Uni: «Quelle intolérance!» Le pays se targuait d'avoir réussi un modèle d'intégration beaucoup plus pragmatique, où les avocates voilées côtoyaient les policiers sikhs à turban. Deux ans plus tard, il est à son tour en proie à un virulent débat sur les signes religieux.

Dimanche, une employée de British Airways a révélé qu'elle avait été suspendue par la compagnie aérienne britannique. Motif: refus de dissimuler la petite croix qu'elle porte autour du cou. L'objet argenté, long d'un ou deux centimètres, n'est pas particulièrement ostentatoire, mais British Airways a fait savoir que les signes religieux doivent être cachés. Et que si le voile et le turban restent autorisés, c'est parce qu'il serait extrêmement difficile de les soustraire à la vue.

Ce fait divers, qui serait sans doute passé inaperçu il y a quelques années, a provoqué une avalanche de réactions indignées. Peter Hain, ministre de l'Irlande du Nord, parle d'une décision «dingue»: «Je ne la comprends pas et je ne crois pas que quiconque la comprenne.» Ann Widecombe, députée conservatrice, très à droite, s'inquiète de la «discrimination contre les chrétiens»: «Nous avons ici une vraie opportunité de défendre la foi chrétienne, s'exclame-t-elle. Il est évident que les chrétiens ne sont pas traités à égalité: British Airways autorise le voile ou le turban, mais pas la croix! Nous voulons la même loi pour tous.»

Si cette histoire fait autant de bruit, c'est qu'elle est l'écho d'une autre controverse, concernant le voile musulman. Il y a deux semaines, le leader de la Chambre des communes, Jack Straw, a lancé un pavé dans la mare en affirmant dans un article qu'il préférait que les femmes ne portent pas le voile complet (celui qui ne laisse voir que les yeux).

Le débat a enflé quand une jeune aide enseignante du nord de l'Angleterre, Aishah Azmi, a été suspendue vendredi, parce qu'elle portait le voile complet au moment de donner ses cours. L'école affirme que sa décision n'a rien de religieux: «Les élèves et les enseignants ont exprimé des inquiétudes parce qu'ils trouvaient difficile de comprendre ce qu'elle disait pendant les leçons.» Une accusation catégoriquement démentie par l'intéressée.

Cette histoire a également fait couler beaucoup d'encre. Un secrétaire d'Etat en charge des administrations locales a demandé son renvoi de l'école. Hier, le premier ministre, Tony Blair, a affirmé qu'il soutenait la décision de l'école, ajoutant que le voile complet était une «marque de séparation».

Dans ce débat, ce sont les institutions religieuses qui tiennent les propos les plus tolérants. Beena Faridi, de l'association Islamic Human Rights Commission, prône un peu plus de retenue de la part des politiciens. «Le ton du débat m'inquiète. On estime qu'un maximum de 9000 femmes portent un voile complet en Grande-Bretagne. Est-ce que l'intégralité des 1,7 million de musulmans britanniques doit en supporter les conséquences? Les commentaires de Tony Blair et Jack Straw, qui parlent de la communauté musulmane comme d'un bloc unique, n'aident pas à la discussion. Il est clair aujourd'hui que la société devient de plus en plus intolérante.»

L'Eglise d'Angleterre présente un discours similaire. «Beaucoup des commentaires faits en cette occasion sont arrogants, souligne un de ses porte-parole. Rien dans la foi chrétienne n'oblige un croyant à porter un signe extérieur religieux, alors que d'autres religions le demandent. C'est une vraie différence.»

Et de s'inquiéter de la dérive politiquement correcte du débat. «Est-ce que British Airways avait peur qu'une croix choque quelqu'un? Demande le porte-parole. Si on perd le sens du raisonnable, et que tout ce qui peut choquer qui que ce soit devient interdit, la société va se retrouver complètement immobilisée.»
http://www.letemps.ch/template/societe.asp?page=8&article=191775